QUESTIONS À…
Thomas WIDMAIER,
Directeur du développement international, Les 3 Brasseurs
Vous êtes en charge du développement international de l'enseigne 3 Brasseurs. Quelles sont les principales étapes de votre parcours professionnel ?
Avant de prendre ma mission actuelle chez 3 Brasseurs, j’ai un parcours essentiellement dans la finance. J’ai commencé ma carrière en audit externe puis interne, avant d’évoluer vers le contrôle de gestion.
Après quelques années d’expérience dans ces métiers, j’ai rejoint le groupe Agapes en 2008 en tant que directeur du contrôle de gestion de Pizza Paï. J’ai été attiré par la culture de décentralisation et de responsabilisation du groupe et par ses valeurs humaines. Et travailler chez Pizza Paï, une enseigne en « repositionnement » a été très challengeant et éducatif.
Au-delà des chiffres et l’animation de gestion, j’y ai découvert le métier passionnant de restaurateur, l’importance des hommes et des femmes qui font vivre tous les jours nos restaurants et l’amour du produit. J’ai également beaucoup travaillé sur la franchise et notamment sur le partage de la valeur entre franchisé et franchiseur. J’ai fortement contribué à refondre nos modèles de location gérance pour mettre en place les conditions de deals vraiment gagnant-gagnant.
En 2012, j’évolue au sein d’Agapes et je prends la direction financière du groupe. J’anime l’ensemble des services administratifs communs aux différents enseignes et je supervise les fonctions corporate autour du financement, du controlling et du juridique. Un périmètre passionnant et large, en liaison avec les enseignes mais également avec l’extérieur, puisque j’étais en charge de négocier les deals, dans le cadre d’acquisition ou de partenariat.
En 2019, j’ai souhaité retrouver un projet plus proche des clients, en proximité avec les opérations. 3 Brasseurs initiait son projet international et Eric DEMONCHEAUX, son directeur général, m’a proposé le challenge, en partant d’une feuille (presque) blanche.
Pouvez-vous nous rappeler quelques éléments de l’histoire de votre enseigne ?
L’enseigne 3 Brasseurs a été créée en 1985 par un brasseur lillois, Patrick BONDUEL issu d’une famille qui a également conçu la bière qui est devenue Pelforth. Puis, Agapes (famille MULLIEZ) l’a rachetée en 2003. Nous avons donc deux origines familiales fortes.
Nous exploitons actuellement 50 restaurants en France, 15 au Canada et 3 au Brésil. En France, l’exploitation se fait à 50 % en succursale et 50 % en franchise. Au Canada, nous nous développons en mixte succursale/franchise et au Brésil, nous avons vocation à nous orienter vers une master franchise.
L’enseigne réalise 200 millions de chiffre d’affaires avec des restaurants plutôt grands (200 m², 3 millions d’euro de CA en moyenne). Notre concept s’adresse à une clientèle large à la fois de destination, de loisir ou fonctionnelle, à proximité de bureaux. La bière est un produit qui rassemble et ceci partout dans le monde.
Quelles sont vos missions actuelles ?
Je suis chargé du développement international de l’enseigne, c’est-à-dire de l’implantation sur de nouveaux territoires de la marque 3 Brasseurs ainsi que de la stratégie d’implantation en déterminant les pays prioritaires et les modèles de développement associés. Dans le cadre d’une implantation en franchise, l’objectif est de trouver les bons opérateurs, mettre en place le partenariat et avec les experts des 3 Brasseurs, assurer la transmission de notre savoir-faire en vue des premières ouvertures puis de l’animation opérationnelle.
Enfin, j’assume sur nos pays « matures », une responsabilité transversale pour fixer la stratégie de développement de chaque pays et les modèles de franchise associés.
Votre enseigne est déjà au Canada ; comment cela se passe-t-il ? Comment est-elle accueillie par les consommateurs ?
Bien ! A tel point que les Canadiens sont persuadés que l’enseigne est québécoise !
Nous partageons le même ADN, les mêmes valeurs, de Simplicité, Convivialité et Générosité, tout en adaptant notre offre food et bière au marché canadien.
Notre plus gros restaurant dans le monde est à Montréal à Sainte-Catherine.
D’ailleurs, ce pays est pour nous un vrai laboratoire car le continent nord-américain est souvent précurseur de tendances. Il y a plusieurs années, les bières IPA, aujourd’hui connues partout dans le monde, s’y sont popularisées. L’année dernière, nous avons pu proposer, avant tout le monde, une bière sour (acide), très en vogue au Canada, pour la faire découvrir à nos clients français.
Sur le food, nous avons importé en France la poutine, plat traditionnel s’il en est, qui marche très bien. Plus généralement, nous travaillons à développer encore plus les passerelles entre nos pays car c’est une vraie richesse pour notre marque.
Quelles sont vos priorités géographiques et sous quelle forme voulez-vous exploiter à l'étranger ?
Aujourd’hui, nous ciblons dans un premier temps un développement de proximité géographique, en Europe. C’est une question d’accessibilité et il y a encore de gros potentiels de marché. La dynamique de la craft beer, inventée aux Etats-Unis est forte et notre positionnement de brasseur restaurateur est unique sur le marché avec la création d’une bière spécifique par restaurant.
Nous avons ciblé trois pays de taille intermédiaire, la Pologne, la Suède et les Pays-Bas. Ce sont des marchés avec une intensité concurrentielle raisonnable, ouverts à la nouveauté, où la consommation de bière est culturelle et où le développement en franchise est bien connu. Nous souhaitons nous y développer en master franchise, c’est-à-dire en confiant à un opérateur une exclusivité sur tout le pays ou une grande région.
Charge à lui d’y développer un réseau qu’il opérera directement, au moins pour la majorité des sites. C’est pour nous, le modèle le plus vertueux pour nous adapter au pays, ce qui est crucial surtout dans le food. Il faut taper juste pour intégrer à la carte les plats incontournables du pays, pour développer les restaurants sur les bons spots et être bien implanté pour recruter et animer les équipes sur des marchés tendus. Le master franchisé est le mieux armé pour cela. Nous avons la chance d’avoir un concept qui s’adapte bien à l’étranger, qui laisse de la souplesse pour une offre adaptée à chaque pays, à chaque lieu.
Nous concernant, au-delà du transfert de savoir-faire et de l’animation, classique en master franchise, nous proposons au partenaire un service réellement clé en main sur la bière. C’est ce qui fait notre spécificité sur le marché et nous avons donc conçu une assistance renforcée pour que notre partenaire produise de la bière artisanale d’excellente qualité. Cela va de l’installation de la microbrasserie dans chaque restaurant jusqu’au suivi qualitatif avec la visite d’un animateur brasseur tous les mois sur site, en passant par les approvisionnements en matières premières, notamment en levure dont la souche est propre à 3 Brasseurs.
©resofrance.eu
©Nomads et Régis
Nous sommes en pleine crise Covid 19 avec de gros impacts, notamment sur la restauration. Cela a-t-il fortement modifié vos réflexions et stratégies sur l'international ?
Profondément, nous ne remettons pas en cause notre stratégie de développement international qui s’inscrit dans une vision à long terme de trouver les relais de croissance pour les 3 Brasseurs, une fois le potentiel français saturé.
Pour autant, à l’instant T, nous sommes, comme tout le marché, percutés par la crise Covid. Les énergies sont concentrées sur la gestion opérationnelle quotidienne, que cela soit dans nos équipes ou chez de futurs partenaires qui opèrent des restaurants. Cela impacte et rend encore plus complexe notre recherche de partenaire.
Mais la crise créera sûrement des opportunités. Les concepts obsolescents ne résisteront pas et certains opérateurs seront en recherche de nouveaux projets. Notre concept est attractif et très différenciant. Nous avons profité de la Covid pour accélérer la digitalisation autour de la livraison et de l’emporté. Ce sont de nouveaux services pour nos potentiels partenaires. Et, nous sommes en pleine évolution pour faire évoluer nos modèles et être encore plus intégrés dans les circuits courts pour les approvisionnements food et le développement de cartes encore plus locales.
Nous bénéficions déjà d’un gros actif : notre bière est faite sur place, avec des matières premières simples, sans additif ni conservateur, sans pasteurisation, pour un goût unique.
Vous êtes une enseigne du groupe Agapes, avez-vous une approche multi enseignes à l'international ?
Aujourd’hui, le timing et la maturité différente des enseignes d’Agapes ne s’y prêtent pas.
Flunch, notre plus grande enseigne, se réinvente et tous les efforts sont concentrés sur cet objectif et le parc français.
Il Ristorante et Salad & Co, sont deux marques en croissance qui pourraient être pertinentes à l’étranger. Mais à date, la priorité est de consolider leur assise de marque en France pour atteindre un premier stade de taille critique.
Nous faisons donc les choses par étape. La bière est un produit apprécié dans tous les pays du monde, ou presque. Notre produit iconique la Flammekueche s’exporte également très bien. Ce sont deux éléments importants des 3 Brasseurs pour réussir notre internationalisation, avant de voir plus loin, peut-être dans un deuxième temps.
Quelles sont pour vous les principales difficultés pour mener à bien vos objectifs ?
Se développer en master franchise implique de trouver un excellent opérateur de restaurants, aligné sur nos valeurs et disposant de capitaux suffisants pour développer en propre une zone large. Très clairement, c’est un profil rare, que beaucoup d’autres marques cherchent à recruter. Il y a un réel déséquilibre entre l’offre et la demande. La Covid, qui a affaibli les fonds propres disponibles pour investir dans de nouveaux projets rend le contexte encore plus compliqué.
Par ailleurs, notre concept a besoin d’être mis en visibilité pour en faire ressortir ses atouts, avec une notoriété limitée à l’étranger. Notre faible présence à Paris et dans les lieux de passage des décideurs étrangers limitent les contacts spontanés. Il faut donc créer l’envie de nous découvrir. Or, en France notre développement s’est fait historiquement dans les zones commerciales alors que nous sommes davantage présents en centre-ville au Canada. En 2020, nous ouvrirons à La Défense. Nous recherchons également dans Paris.
Enfin, internationaliser une entreprise représente aussi un vrai changement en interne. Nous avons l’expérience de la franchise en France et de l’international en succursale mais pas encore celle de la franchise à l’international ! Nous devons passer un cap supplémentaire en nous structurant pour transmettre notre savoir-faire et participer à la réussite d’un partenaire. Cela passe aussi par un vrai travail pour définir ce qu’est le cœur de la marque et l’expérience 3 Brasseurs partout dans le monde, voir ce qui peut et doit être adapté dans chaque pays, en local pour chaque restaurant. Dans notre métier aujourd’hui, le développement international ne peut pas se baser sur une approche de duplication en copier/coller.
Il faut donc aborder ce challenge avec beaucoup d’humilité !
Vous êtes adhérent à Eurelia, département international de Procos, qu’en attendez-vous ?
Eurelia nous permet déjà de gagner du temps dans la connaissance des pays et de leurs zones de chalandise pour mieux les cibler, connaître les marchés et préparer nos déplacements sur le terrain.
Ainsi, la bonne couverture géographique des études d’Eurelia et des updates réguliers sont des éléments clés. Une veille concurrentielle par grands secteurs d’activité, permettant de suivre le développement des enseignes internationales ou des majors locaux, pourrait utilement être mise en place par Eurelia pour capter la dynamique des marchés et identifier les nouveaux entrants.
Mais la vraie valeur ajoutée d’Eurelia, par rapport à une agence réalisant des études, est la force de son réseau, des échanges, le lien qu’elle crée ou aide à entretenir entre les membres ou avec des interlocuteurs dans les différents pays. Partager nos problématiques, nos contacts, est essentiel car nous sommes souvent peu nombreux dans nos enseignes à gérer ces sujets internationaux. Nous avons donc besoin, encore plus que d’autres, d’ouverture et de partage.
© hintigo.fr
© beer.be